« Le harcèlement en ligne est la continuité de comportements observés dans la société dans laquelle on vie »

Récemment, le cas Nadia Daam rappelait au monde que les femmes journalistes sont une cible fréquente du cyberharcèlement. Nous avons posé quatre questions à Sabri Derinöz, Conseiller de la cellule Médias du cabinet de la Ministre Bénédicte Linard.

« Le harcèlement en ligne est la continuité de comportements observés dans la société dans laquelle on vie »
Sabri Derinöz est le conseiller de Bénédicte Linard, Ministre des Médias et des Droits des Femmes.

1) Que peut ressentir une victime de cyberharcèlement ? 

Sans vouloir me substituer aux experts sur la question, on peut noter que le harcèlement en ligne des femmes a des conséquences très importantes et très concrètes, qu’elles soient psychologiques ou autres, menant à des modifications des comportements ou encore à des dépressions. Les victimes se retrouvent dans des situations où elles doivent parfois faire appel à une protection policière, et dépenser une énergie folle pour les démarches administratives et judiciaires qui suivent les éventuelles plaintes.

 2) Pourquoi les femmes sont-elles une cible pour le cyberharcèlement ?

Le harcèlement en ligne est la continuité, parfois de façon exponentielle, de comportements observés dans la société dans laquelle on vie. Les inégalités de genre sont encore très marquées et le contrôle social des femmes, ce qu’elles ont le droit de faire, de dire, est encore très présent sous une infinité de formes. En ligne, certains aspects renforcent ces comportements, comme le sentiment d’impunité, l’anonymat ou encore l’effet de meute. C’est aussi un espace où certaines formes d’idéologies, notamment masculinistes ou d’extrême droite se développent sans complexes, parfois via de vraies stratégies de communication visant des femmes et/ou des groupes minoritaires.

3) On suppose que le cyberharcèlement peut provoquer une sensation de décrédibilisation du travail, d’enfermement, le silence est-il la solution pour les femmes afin d’éviter le harcèlement ?

C’est la « solution » que trouvent certaines femmes pour éviter de continuer à subir des vagues de violences en ligne. Ce n’est évidemment pas une solution que l’on doit promouvoir. Toute personne a droit à la liberté d’expression et au respect. C’est donc essentiel, pour tous les acteurs impliqués dont les politiques, de travailler à ce que ces espaces publics, notamment en ligne, puissent permettre des échanges apaisés où personne ne subit des violences de ce type et où chacun et chacune à sa place. C’est un enjeu essentiel pour une société qui se veut démocratique.

4) Quelles solutions pourraient instaurer l'Etat et les médias afin de garantir la sécurité en ligne des journalistes ? Et du côté de la justice ?

Il faut faciliter les démarches judiciaires ou alourdir les sanctions, pour faire passer le message que ces violences sont inacceptables et combattues activement. Il faut évidemment travailler à renforcer la régulation des plateformes de partage et des réseaux sociaux pour créer un espace public en ligne plus serein, voire plus sain. Dans le cadre de ses propres compétences, la ministre des médias et des droits des femmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Bénédicte Linard, a travaillé en profondeur sur différentes orientations face à cette problématique :

- Un plan « droits des femmes » prévoit une série de mesures spécifiquement sur les cyberviolences.

- Des initiatives ont été prises pour lutter contre le cyberharcèlement dans le cadre des appels à projets « visant à lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes dans le secteur des médias ».

- L’éducation aux médias (EAM) est au cœur de l’action de la ministre, avec un « plan d’éducation aux médias » mis en œuvre.

L’Association des journalistes professionnels (AJP) s’est intéressée à la problématique du cyberharcèlement des journalistes, et aux réponses mises en place par les rédactions pour protéger et accompagner leurs travailleurs et travailleuses qui seraient la cible de harcèlement. Elle a commandé une étude à des chercheurs et chercheuses de l’ULB, dont les conclusions ont été publiées en ce mois de janvier 2022. Il en ressort qu’il n’existe pas encore de réponse systématique et structurée des employeurs médias face à ces harcèlements. Sur la base de ces constats, l’AJP va continuer à travailler sur la thématique.