Élian Potier : “Contre le harcèlement scolaire, le plus important, c’est prévenir et libérer la parole”
Président fondateur de l'association Urgence Harcèlement, Elian Potier, 21 ans, est Ambassadeur officiel de la lutte contre le harcèlement scolaire. Il a pu rencontrer le gouvernement, proposer des mesures sur le sujet et il insiste sur les priorités pour faire face à ce fléau, à travers interventions et prévention.
Dans le cadre du nouveau plan interministériel anti-harcèlement du gouvernement, vous avez rencontré la première ministre Elisabeth Borne et le ministre de l’Education Gabriel Attal. Quels changements avez-vous proposés ?
Avec des membres d’autres associations (Anne-Liz Deba, Nathan Smadja), nous avons été reçus par le ministre de l'Éducation Nationale il y a environ deux semaines. Je l’avais contacté via Instagram en lui demandant une rencontre, d’une part pour nous présenter étant donné qu'on avait changé de ministre, mais aussi pour proposer nos solutions, lui dire qu'on était là pour continuer à lutter contre ce fléau, qu’il pouvait compter sur nous (les associations).
Car je pense qu'un gouvernement ne peut pas tout faire. Que l'État a besoin d'aide dans certaines décisions et sur le terrain, notamment sur ce sujet, pour réfléchir à des mesures. Nous lui avons soumis plusieurs idées qui, en plus du récent plan interministériel, seraient intéressantes à mettre en place : notamment la diffusion du 3018 (nouveau numéro unique anti-harcèlement) dans les gares, les trains, les espaces de transports publics.
Dans l’exemple d’un enfant harcelé : quand il va à l'école, il emprunte les transports. En entendant le numéro, il va penser à la journée qui va passer et la situation de harcèlement à laquelle il va être confronté. Avoir une voix qui lui rappelle la situation et qui lui dit indirectement qu'on ne l’oublie pas, qu'on pense à lui, ça peut lui faire dire : il faudrait que j’appelle, j’en ai besoin.
D'autres mesures existent, encore en discussion, comme le fait d’apporter un délai de réponse obligatoire aux parents qui signalent une situation de harcèlement de leurs enfants. Parce qu'aujourd'hui, on n'a pas de délai, de temps limite.
Après signal à l'administration, à l’heure actuelle la seule réponse va être : “ok, on a bien pris en charge la demande”. Mais dans une situation telle ? On a au moins besoin d'avoir une date. Il faut un retour de la situation dans laquelle on est. Sur ce sujet, j'ai donc proposé un délai de 72 heures. Une mesure désormais en interne, en discussion.
Dans le plan, on compte plusieurs mesures : des cours d’empathie, des campagnes de sensibilisation, un durcissement des sanctions, etc. Peut-on dire que la mise en place de ce plan devrait avoir un gros impact sur la situation ?
En fait, ne serait-ce que parler d'un plan interministériel établi pour lutter contre le harcèlement est assez grand. On n'a jamais mis ça en place avant en France. Il y avait des mesures, un programme, d'année en année rendu obligatoire, alors qu'il était déjà censé l’être auparavant. On tournait en rond.
Moi-même, je l’ai vécu en faisant des interventions : lorsque j’arrive, on me dit: “Votre intervention s'inscrit dans l'ouverture du programme Phare au sein de notre établissement” Autrement dit, en fait, c'est parce que vous êtes là, qu'on ouvre le programme anti-harcèlement. Sauf qu'à ce moment, on est au mois de juin. Il y a toute une année qui s'est écoulée. La prévention n’est pas forcément appliquée constamment, sur la durée.
En revanche, chaque ministère s'impliquera désormais : la justice, la santé, l'éducation, le sport, le numérique. Chacun a pris sa part de responsabilité dans la lutte contre le harcèlement, rendant le tout plus sérieux, plus structuré, plus officiel.
Et puis, dans les dernières semaines, des mesures ont été prises. Par exemple, le fait de pouvoir transférer l'élève harceleur dans un autre établissement.
Une mesure impossible auparavant ?
En effet. Évidemment, ça paraît logique, mais avant cela n'était pas appliqué. Parfois, c’est même l’élève harcelé qui devait quitter l’établissement. Maintenant, un décret est sorti : dans le cas d’un risque avéré, le harceleur est censé partir de l'établissement.
On peut évidemment dire que c'est déplacer le problème ailleurs, etc. Mais on sait avant tout que le harcèlement a lieu en groupe. Donc, si un élève harceleur se retrouve dans une autre école, il y a moins de chances qu'il harcèle d'autres personnes, parce que ses autres camarades ne seront plus là. Il y réfléchira, ayant vu les conséquences.
C’est la même chose pour le fait de prendre les téléphones des jeunes accusés de cyberharcèlement : désormais, l'État est en mesure de confisquer les téléphones portables d’harceleurs sur demande du procureur, et de leur instaurer un couvre-feu numérique.
En tant que parent aussi, cela montre la part de responsabilité qu’ils tiennent. Et si le harcèlement continue, il faudra taper sur les parents. Eux aussi ont un rôle à jouer, à 2000%, dans la lutte contre le harcèlement.
Vous faites également de la prévention avec votre association, Urgence Harcèlement. Comment se déroule une intervention ?
Sur les réseaux sociaux, je me suis constitué un réseau de proviseurs assez bien nourri grâce à Urgence Harcèlement. On poste lorsqu’on intervient, ce qui pousse de plus en plus de personnel de l'Education Nationale à en voir la nécessité et à ensuite demander des interventions. Ils me contactent donc via les réseaux, puis on organise l’intervention.
En général, je passe une journée dans l'établissement, avec une classe par heure. Je leur demande de donner la définition du harcèlement avec leurs propres mots, de définir les acteurs lors d'une situation de harcèlement, et quel rôle chacun joue.
“Qu'est-ce que c'est le harcèlement ?”. “Si tu es un témoin passif, comment vas-tu faire pour devenir un témoin actif ?” “Si tu es un harceleur, quels risques encours-tu ?" “Si tu es une victime, qui peux-tu contacter?” Ils peuvent se rendre compte, eux aussi, des situations, de la réalité. Nous parlons également des lieux propices au harcèlement et des numéros d’aide.
Une intervention de l'association Urgence Harcèlement, avec Elian Potier.
Connaît-on l'impact des numéros d'aide ?
Oui celui du 3018, particulièrement efficace sur le sujet du numérique, étant un numéro géré par l'association e-enfance (Association de protection de l’Enfance sur Internet).
Il s’agit de la seule association, reconnue comme partenaire de confiance par les réseaux sociaux, offrant la possibilité de supprimer des contenus sur internet : une photo, une publication dangereuse pour un mineur, déposée sans son consentement. Après signalement, elle peut, dans un délai d’environ vingt à trente minutes, supprimer un contenu.
Évidemment, comme partout, il doit y avoir des loupés. On ne peut pas dire que 100% des contenus signalés sont supprimés. Mais, en ayant discuté plusieurs fois avec Justine Atlan, sa directrice générale, on comprend l’efficacité derrière.
Le cyber-harcèlement est justement un phénomène relativement moderne. S'agit-il d'une nouvelle dimension à gérer, rendant le harcèlement possible à tout instant ?
Oui, cela passe par le téléphone portable, qu'on acquiert de plus en plus tôt, en CM1-CM2. Moi-même, j’en ai eu un en primaire : les jeunes accèdent de plus en plus tôt à des contenus sur les réseaux sociaux, pas forcément de leur âge. Et ainsi, on est confronté à des discussions qui peuvent être plus ou moins violentes.
Surtout face à une situation de cyberharcèlement, qui peut être beaucoup plus forte, beaucoup plus intense que dans la vraie vie, n'étant pas devant quelqu'un à travers un téléphone portable. Donc, on peut également faire beaucoup plus de mal envers certaines personnes.
Il y a, encore une fois, un enjeu parental. Les parents sont responsables des discussions, des échanges qu'ont leurs enfants via les réseaux sociaux. Vu que même la justice a des difficultés à s'emparer du problème, derrière, les parents doivent gérer les téléphones de leurs enfants.
Le problème était-il moins visible dans le passé ? S'est-il amélioré récemment ?
Avant, le harcèlement était ignoré, tabou. Parce que les gens ne mettaient pas les mots dessus. Il y a cinq ans, on parlait de chamailleries. Mais aujourd'hui, à force d'écouter des drames, les médias se sont emparés du sujet. Et donc, on a commencé à mettre des mots dessus.
Donc, il faut en parler, c’est nécessaire. La priorité, c’est de faire de la prévention et libérer la parole. Il faut un numéro d'aide, il faut consulter les jeunes, mettre en place des procédures.
C'est comme ça que, petit à petit, on essaye d'avancer. Et si on retourne en arrière, on se rend compte quand même d’une progression sur le sujet. Certes, nous ne sommes pas le pays le plus développé, avec les statistiques les plus basses, mais nous progressons quand même et, avec le plan interministériel, je l’espère, encore plus.
Malheureusement, il n'y aura jamais 0% de harcèlement. Aucun pays ne l'atteint. Mais on espère quand même diminuer le plus possible ce pourcentage dans les écoles et sur les réseaux sociaux, à travers les différentes mesures que le gouvernement et les associations mettent en place.
Est-ce difficile de punir efficacement le harcèlement ? La justice devrait-elle accélérer les procédures ?
Je ne sais pas s'il y a une difficulté à condamner, mais j'ose espérer que, étant donné qu’il s’agit de situations particulières, conçernant des enfants, la justice française pourra être rapide et protectrice pour les victimes. Parce que c’est destructeur, une telle situation.
Pour un jeune : être harcelé, ne plus aller en cours ou avoir la boule au ventre en allant à l'école, avoir des notes qui chutent, c'est destructeur psychologiquement.
Dans tous les cas, j’espère que le traitement sera particulier, parce que ce sont des mineurs, parce que c'est du harcèlement scolaire et que nous devons en faire la priorité.
Propos recueillis par Doryan Boulzennec