Caroline, une oreille attentive au bout du fil pour lutter contre l’isolement

En France, 530 000 personnes âgées de 60 ans et plus sont en situation de “mort sociale”. Pour lutter contre cette précarité relationnelle, l’association Les Petits Frères des Pauvres a lancé en 2007, Solitud’écoute, une plateforme d’écoute au téléphone animée par des bénévoles. Parmi eux, Caroline Hego. Immersion dans le quotidien d’une volontaire au grand cœur.

Caroline, une oreille attentive au bout du fil pour lutter contre l’isolement
Caroline Hego est bénévole depuis 15 ans à Nantes pour la plateforme Solitud’écoute des Petits Frères des Pauvres.

À Nantes, dans le local des Petits Frères des Pauvres, la ligne téléphonique de la plateforme gratuite Solitud’écoute vient à peine de s’activer que le combiné retentit déjà. Assise devant un petit bureau, le casque sur les oreilles, Caroline Hego, 50 ans, commence tout juste sa permanence. Elle décroche. « Je suis seule », lance d’une voix chevrotante la femme au bout du fil. Difficile de lui donner un âge. Peut-être 70 ans. 

Un long silence s’installe avant que Caroline n’entame la conversation. « Avez-vous de la visite ? Comment vous occupez-vous ? » interroge la bénévole. La confiance s’instaure et l’appelante, qui n’a plus contact avec sa fille, se livre un peu plus. Sans jamais décliner son identité. « En appelant Solitud’écoute, on vient se confier de manière anonyme. On n’a pas accès au numéro de téléphone de celui qui nous appelle, éclaire Caroline Hego. Au niveau des sujets abordés, ce sont eux qui dirigent. » Une vingtaine de minutes s’écoulent, l’échange se ponctue par un remerciement. L’une comme l’autre ne se reparleront probablement jamais. 

Laisser sa curiosité de côté 

C’est ça qui plaît à Caroline Hego : une rencontre éphémère, un échange dans l’instant présent. « On n’a pas de projet pour l’autre et on ne donne pas de conseils. Qui suis-je pour dire vous devriez faire si ou ça ? Mes conseils sont adaptés à ma situation, pas forcément à l’autre. Chaque solution est spécifique à chacun. »

Puis, il faut aussi travailler sur sa curiosité personnelle. « L’écoute sur une plateforme, c’est travailler son impuissance et sur la frustration de ne pas savoir ce qui se passe après avoir raccroché. La personne peut vous avoir dit qu’elle envisageait des solutions à son problème mais on ne sait pas ce qu’elle va décider derrière. L’idée ce n’est pas de faire du suivi. Ou alors, certains rappellent mais on ne tombe pas forcément dessus. » Il faut dire que le dispositif est animé toute l’année par une cinquantaine de bénévoles à Nantes, Lyon et Paris, entre 15 h et 20 h. 

« Ils n’ont pas d’autres contacts »

Et puis il y a ceux qui sollicitent la plateforme tous les jours. « Ils se sentent seuls. Ce sont des gens qui n’ont pas d’autres contacts extérieurs ou très peu. Ils viennent prendre un peu de chaleur humaine, confie la cinquantenaire. Un appelant m’avait dit : la solitude, c’est la pire des punitions.» L’isolement. L’une des raisons principales qui pousse chaque jour de nombreuses personnes à faire appel à Solitud’écoute.  

La deuxième édition du baromètre des Petits Frères des Pauvres, « Solitude et isolement quand on a plus de 60 ans en France en 2021 », indique que 530 000 personnes de cette tranche d’âge seraient en situation de mort sociale. Par ailleurs, le nombre d’aînés isolés des cercles familiaux et amicaux est en hausse, puisque cela concernait 900 000 personnes en 2017 contre 2 millions en 2021. « La retraite, c’est un moment que l’on idéalise mais c’est aussi une période où l’on fait face à la mort de ses amis et on n’a plus de contact professionnel », raconte Caroline Hego.

 

L’an passé, le dispositif Solitud'écoute a permis à 13 200 personnes d’échanger avec un bénévole par téléphone. « Malheureusement, on n’arrive pas à répondre à tous ceux qui composent le numéro. On écoute peut être que 30% de ceux qui nous appellent. Dès qu’on raccroche, on a une nouvelle personne au bout du fil, constate Caroline Hego. C’est du non-stop quand on fait une permanence. Il faut qu’on forme et qu’on accueille d’autres bénévoles pour ouvrir plus de postes ».

Beaucoup d’émotions 

Les problématiques liées au deuil et à la solitude, Caroline Hego les connaît bien. Quinze ans qu'elle répond au téléphone des Petits Frères des Pauvres après avoir fait un saut à SOS amitié. C’est là-bas qu’elle a appris à écouter et à répondre à ceux qui composent le numéro. Malgré tout, pas toujours simple de maîtriser ses émotions. « Chaque personne est touchante parce que ça fait un effet miroir qui peut renvoyer à notre situation. Il m’est déjà arrivé de pleurer. Une appelante me confie qu’elle vient de perdre sa maman alors que je venais, moi aussi, de perdre ma maman quelques mois plus tôt. Je n’ai quasiment pas décroché un mot de l’appel. » 

Et puis, il y a les situations difficiles. « Certains cumulent des choses horribles. D’entendre que l’autre est tellement dans la souffrance qu’il veut mettre fin à ses jours, c’est lourd parfois. » 

Caroline Hego évoque aussi l’agressivité à laquelle elle a déjà fait face. « Raccroche salope, connasse … certains nous insultent. Il y a aussi des masturbateurs. Dans ces càs-là, on écourte l’appel. »

Pour réagir et faire face à ces différentes situations, l’association mise  sur l’accompagnement. « On a des formations, on fait de la double écoute et on a rendez-vous dans un groupe de parole, tous les mois, explique la cinquantenaire. On y vient pour se décharger dans un premier temps des choses négatives et on travaille encore et toujours sur la manière d'écouter et de réagir face à la souffrance de l’autre ».

Guidée par sa foi

Donner de son temps à autrui, c’est dans ses veines pour cette assistante maternelle. « Je suis chrétienne protestante. Ça fait partie pour moi de l’obéissance à Christ qui dit aime ton prochain comme toi-même, raconte Caroline Hego qui a failli entrer dans les ordres plus jeune. C’est une certaine forme de pratique de ma foi. »

 

Julie Morisseau