ENQUETE. Salaire trop bas et rythme de travail intense, les saisonniers n’en peuvent plus : “ On travaille jusqu’à ne plus en compter nos heures “

Derrière les fourneaux ou en terrasse pour servir les clients, ces saisonnierières et saisonniers ont travaillé d’arrache pied cet été 2023. Sous payés pour certains, sans logement pour d’autres, ils témoignent de leur expérience.

ENQUETE. Salaire trop bas et rythme de travail intense, les saisonniers n’en peuvent plus : “ On travaille jusqu’à ne plus en compter nos heures “
Unsplash - Charles Deluvio

“ J’ai dormi dans une tente tout l’été. On m’avait promis un logement, je n’ai absolument rien eu “ déplore Nabil. Habitué à travailler en tant que saisonnier, ce jeune homme de 24 ans a subi l’été 2023. “ Comment voulez-vous être en forme au travail sans logement ? Ça m'a refroidi pour l’été prochain. “ Pourtant Nabil n’en est pas à son premier poste de saisonnier. Cuisinier dans des restaurants à Marseille, Cannes, Bastia ou bien même à Bordeaux, c’est à La Baule que tout a basculée. “ J’étais en contrat de 37 heures par semaine pour 4 mois dans un restaurant traditionnel. L’entretien s’était bien passé, on m’avait promis un logement, un bon salaire et une bonne ambiance de travail. “ Mais il n’en ai rien, un emplacement dans un camping a fait office de logement et 200 euros lui ont été retirés chaque mois pour payer l’emplacement d’après son responsable. Après plusieurs demandes, le restaurant où travaillait Nabil n’a pas répondu à nos sollicitations. 

Des exigences plus précises

Le secteur de la restauration et de l’hôtellerie n’arrive pas à recruter. Les directeurs des établissements semblent pourtant s'adapter aux nouvelles demandes des candidats. “ Les entretiens d’embauches sont de plus en plus durs à mener. Les candidats ont des exigences bien précises. J’essaye de les respecter dans la mesure du possible “, explique Benoist Alinhc, patron d’une pizzeria près de Nantes. Olivier Dardé, président de l’UMIH du département de la Loire-Atlantique (44) précisait dans nos colonnes qu’un “ projet de création d’un observatoire spécialisé “ serait sur la table. Il permettrait d’analyser les besoins de la profession pour en proposer des solutions adéquates. Pour Tristan et Romane, deux cuisiniers saisonniers de 19 ans et 23 ans, ce projet n’est pas la solution. “ Ce sont les patrons qu’il faut éduquer. Ils manquent de main d'œuvre mais ils ne facilitent absolument pas les recrutements “, expliquent-ils. Depuis un an, le couple de vingtenaires enchaîne les saisons ensemble. Après six mois dans les fourneaux d’un restaurant dans les Alpes près de Chamonix, la saison estivale a été synonyme de galère pour eux. “ Forcément un couple qui candidate, ça passe ou ça casse. Notre chef était content car on prend deux postes d’un coup, la contrepartie c’est qu’on demande aussi nos congés ensemble ! Enfin, si on nous les donne. “ 

Des manquements au droit du travail 

La convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) régit le droit du travail du secteur de la restauration. Dans la loi, un cuisinier peut effectuer 50 heures maximum sur une durée de trois mois. L’ensemble des salariés contactés confirment que leurs plannings étaient en deçà de cette limite. Mais les employeurs frôlent l’illégalité avec un autre point : les onze heures de repos quotidien. “ Je finissais à 23 heures ou minuit pour reprendre le lendemain à neuf heures. Si mes calculs sont bons, on n’est pas bons “, déplore Tristan tout en gardant le sourire. Il ajoute : “ J’aime ce boulot, c’est passionnant, on ne s’ennuie jamais, on travaille jusqu’à ne plus en compter nos heures, c’est le risque. “ 

Mais pour cette juriste, les établissements jouent avec le droit du travail. “ Il est très difficile de prouver ces bavures. Les salariés n’osent pas parler. Très souvent, ce sont les familles qui nous sollicitent “, précise Alyette Bongrand, juriste en droit du travail et de la propriété intellectuelle. 

Une situation “ déplorable mais nécessaire “

Le moteur des saisonniers, et plus largement des salariés en restauration, est bel et bien la passion du métier. Et ça, les patrons l’ont bien compris. “ Mes gars sont des fous du travail, ils vont tout donner à chaque service pour envoyer les meilleurs plats “, se réjouit Alain, chef dans un restaurant à Nantes. A sa demande, son nom a été modifié et son restaurant restera anonyme en raison de ses pratiques douteuses. A la tête d’une brigade d’une vingtaine de personnes dans le centre-ville de Nantes, le double en période estivale. “ Il y a plus de touristes à Nantes, on augmente notre production et nos amplitudes d’horaires d’ouverture ” , explique-t-il. Et il ne se cache pas d’abuser des plannings. “ C’est déplorable mais nécessaire, il me manque 4 personnes en cuisine et 5 en salle pour être confortable. Nécessairement, ce sont les autres qui trinquent, dont moi “, regrette-il. Alain ajoute que “ ça ne nous empêche pas d’avoir des candidatures et des jeunes en cuisine en saison. Ils sont motivés. “ Pourtant, sur les 5 recrutements de l’été, seulement 2 sont restés en poste. Les trois saisonniers partis sont unanimes : le salaire trop bas et le volume horaire ne leur permettent pas de tenir dans une ville où le loyer frôle les 15 euros au mètre carré, soit trois euros de plus que la moyenne nationale. Ces critères correspondent aux points négatifs relevés par une étude d’Alliance France Tourisme. 25% des personnes interrogées estiment que les métiers du secteur sont mal payés et difficiles. 

Un secteur qui plaît

Le tourisme se place tout de même dans le top cinq des secteurs privilégiés par les jeunes français. Selon une étude d’Alliance France Tourisme, la restauration et plus largement le tourisme donne envie à 23% des jeunes de 18 ans à 24 ans interrogés, soit une progression de 3% comparé à 2021. Le secteur se place ainsi en quatrième position derrière le commerce (31%), la santé (26%) et le digital (25%). ce discours rassurant se traduit aussi dans les faits. Le gouvernement annonce que les métiers de l’hôtellerie-restauration s'établissent “ en juillet 2022 à 3% en deçà de son niveau d’avant crise. “ 

Malgré sa mauvaise expérience à La Baule, Nabil ne compte pas s’en arrêter là. “ J’ai plein de projets. Je pars début novembre pour une saison en Suisse et ensuite on verra où le vent m’emmène pour l’été 2024. “ Tristan et Romane restent confiants aussi : “ Notre prochaine saison sera en plein Jeux Olympiques, il va y avoir du boulot à foison. “ Quand ils ouvriront leurs propres restaurants, ils affirment qu’ils se souviendront de ces mauvaises expériences afin de ne pas les reproduire en tant qu’employeur. 

 

Alexandre GURICOLAS