Baerle-Duc, Valréas, quadripoint de Kazungula : les frontières insolites de notre monde
Fruit d’histoire et d’incongruités, les délimitations entre les États sont parfois surprenantes. Voyage en 5 points sur autant de lieux géographiquement mouvementés.
Île Hans : la « guerre du whisky »
L’île Hans est un petit bout de roche au cœur de l’Océan Arctique entre le Canada et le Groenland, d’une taille modeste d’1,3 km². Et pourtant, celui-ci a déclenché une guerre. Pour comprendre, il faut revenir au XIXe siècle.
En 1853, une expédition dont fait partie Hans Hendrik, explorateur groenlandais, découvre l’île et lui donne son nom. Cependant, l'îlot se situe précisément au milieu de la frontière théorique entre le Danemark et le Canada : en 1973, les 2 pays définissent leur séparation, sauf pour l’île Hans, laissée en suspens, le pays de la feuille d’érable estimant qu’elle a été découverte par un britannique auparavant. Ainsi débute le conflit, le Canada y plantant en 1984 son drapeau et en y déposant une bouteille de whisky canadien. Le Danemark répond, envoyant son ministre des Affaires du Groenland, avec un drapeau danois et une bouteille d’aquavit. Un rituel qui se poursuivra pendant de nombreuses années avec des passages réguliers, jusqu’à la fin de la « guerre », par la division de l’île en juin 2022.
Durant la conférence de presse à cet effet, les ministres respectifs ont d’ailleurs échangé… de l’alcool, pour clôturer la tradition. Il s’agissait là de « la plus amicale de toutes les guerres », soulignera le clan canadien.
Petit rocher arctique, l'île Hans, théâtre d'un conflit à l'amiable. (crédit photo : Hans Universalis)
Canton de Valréas : le marché aux « exclaves »
Autre particularité géographique : l’exclave. Contraire d’enclave, le mot désigne la portion d’un territoire séparée de sa partie principale et incorporée dans un autre. Berlin-Ouest jusqu’en 1989 et les quartiers palestiniens de Jérusalem encore aujourd’hui sont autant d’exemples d’exclaves. Et c’est le cas également en France du canton de Valréas. Plus qu’une part de département, c’est bien une de région qui se retrouve encerclée par une autre, à savoir le Vaucluse en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, dont une partie de son territoire est compris dans la Drôme, en Auvergne-Rhône-Alpes.
Le canton de Valréas, exclavé du reste du Vaucluse.
Ces terres appartenaient autrefois au pape, ce qui lui doit son surnom de « canton de l’enclave des papes ». Elle a appartenu autrefois au Comtat Venaissin de 1317 à 1791, puis, devenue française à la suite de la Révolution, elle est désormais possession du Vaucluse (voir carte ci-dessus). Mais l’héritage religieux perdure, car encore aujourd’hui, le nom de la Communauté de communes à laquelle appartient Valréas se nomme Enclave des Papes.
Baerle-Duc : les frontières à la belge
La Belgique est dotée, comme beaucoup d’États, de certaines curiosités dans le découpage de ses frontières avec les pays qui lui sont limitrophes. Dont des exclaves. Cela donne lieu à des situations à l’occasion cocasses, le cas extrême du genre demeurant la ville de Baerle-Duc, située à la frontière hollando-belge côté Flandre.
La bourgade de la province d’Anvers, qui abritait 3 000 habitants au dernier recensement, se voit partiellement enfermée à l’intérieur des Pays-Bas, dans la commune de Baerle-Nassau du Brabant Septentrional. Elle parle néerlandais, flamand et s’éparpille en de nombreuses petites fractions de terrains disséminées, vestiges de délimitations médiévales, datant de 1198 entre Henri Ier de Brabant et Godfried II van Choten, seigneur de Breda. Pour éviter que son ennemi Dirk VII étende son influence vers le sud, Henri Ier donna donc un territoire à Godfried. Mais, pour garder la maîtrise du sol, le duc de Brabant conserva les terres fertiles et celles habitées : ces mêmes terres qui, aujourd’hui, sont belges.
Dans la commune de Baerle-Nassau, Baerle-Duc compte 22 enclaves, à l'intérieur desquelles 8 exclaves néerlandaises sont présentes.
Cette situation occasionna cependant des problèmes : entre autres, Baerle-Duc avait donné du fil à retordre aux policiers à l’occasion d’une affaire de meurtre dans une maison à cheval entre les deux pays, suivant l’étape de l’enquête : meurtre commis côté Belgique, cadavre retrouvé côté Pays-Bas. Les brigades s’étaient alors relayées pour éviter tout vice de procédure.
Le Mont-Saint-Michel : une guéguerre infinie entre Bretons et Normands
Parmi les curiosités de la géographie franco-française, le Mont-Saint-Michel occupe à l’évidence une place de choix. Il constitue, en le considérant dans son visuel d’ensemble, un village îlot, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979 et accessible par la route à marée basse, lorsque la digue n’est pas ensevelie sous les flots de l’Atlantique.
Si l’administration française est formelle comme quoi la commune appartient au département de la Manche en Normandie, la Bretagne continue à ce jour de revendiquer ce territoire emblématique comme faisant partie intégrante de son pré carré. Et on peut la comprendre, dans un sens : la baie dans laquelle elle baigne est bien située en Bretagne, ce qui fait que les deux régions se tirent gentiment la bourre pour revendiquer ce joyau de l’architecture nationale, où se croise l’histoire des deux provinces voisines.
Même le maire du village Jacques Bono s’était fendu en 2018 de la pose d’un drapeau à l’hermine à l’entrée du Mont, ce qui avait offusqué certains Normands attachés à leur histoire régionale : « Ce qu’on appelle la Côte d’Émeraude, ça part de Saint-Malo et ça va jusqu’à Granville. Alors normand, breton, c’est pareil ! », avait-il pourtant déclaré à France 3 Normandie.
Vue du Mont-Saint-Michel (Dan Asaki)
Kazungula : le “presque” quadripoint
En termes géographiques, on appelle quadripoint un endroit où se rencontrent quatre frontières. Une situation régulière entre communes, mais à l’échelle internationale, il n’existe aucun quadripoint : un résultat logique d’un point de vue géométrique.
Si, entre la Mongolie et le Kazakhstan, la Russie et la Chine possèdent une frontière d’à peine 40 kilomètres, il existe un écart bien plus réduit et impressionnant, au point qu’il soit dommage que le quadripoint n’existe pas, ne serait-ce que pour la beauté de la chose. Mais, en observant sur une carte le fleuve Zambèze, on aura l’impression d’en voir un. Et en effet, à moins de zoomer particulièrement près du sol, la Namibie, la Zambie, le Botswana et le Zimbabwe semblent reliés. L’écart entre la Namibie, à l’ouest, et le Zimbabwe à l’est n’est en réalité que de 150 mètres !
Mais malheureusement pour les adeptes de faits géographiques, tout espoir de les voir un jour se relier est impossible : les gouvernements zambien et botswanais ont inauguré le pont de Kazungula en 2021, un passage privilégié dont aucun ne voudra se séparer. Pour la petite histoire, l'édifice est situé entre les villes de Kazungula, et de l’autre côté du Zambèze... Kazungula.
Le « presque » croisement des frontières namibienne et zimbabwéenne.
Pour poursuivre…
Empire romain, templiers, papes... - L'histoire du Vaucluse - YouTube (vidéo Nota Bene sur le Vaucluse)
Le coronavirus, casse-tête d'une enclave belge aux Pays-Bas | AFP - YouTube (vidéo sur la gestion impossible du covid à Baerle-Duc)
Le Monde de Jamy - Le Mont-Saint-Michel : normand ou breton ? - YouTube (vidéo sur la rivalité normando-bretonne pour la revendication du Mont-Saint-Michel)
Données géographiques : OpenStreetMap
Par Doryan Boulzennec et Louis Chauvin