Le « footballariat », une condition sociale qui pose question
Selon la fédération française, seulement 7 à 8% des apprentis parviennent à signer en pro à la fin de leur contrat de formation. Alors que deviennent les plus de 90% restants ? Comment cette majorité invisible exclue se relève de cet échec ? Pierre-Cédric Tia apporte des éléments de réponse sur cette frontière entre le monde professionnel et le monde amateur.
Footballeurs de condition, mais pas de profession
Titulaire d’un doctorat en sociologie du sport et entraîneur-joueur de futsal au Mans FC, Pierre-Cédric Tia a réalisé sa thèse sur le « footballariat ». Un concept qu’il a lui-même caractérisé en étudiant la situation de ces joueurs. « Le footballariat est la contraction idéale pour faire un feedback sur une expérience vécue par des joueurs qui sont des « footballariés ». C’est-à-dire qu’ils ont le paradoxe d’être footballeur de condition mais pas de profession”, décrit-il. « Footballarié » ou professionnel, l’investissement requis est parfois similaire alors que le gouffre est immense en termes de conditions socio-professionnelles. Mais il y a aussi une distance en termes de conditions de travail qui les sépare des amateurs classiques en niveau régional ou départemental. Il est donc important de signifier cette phase intermédiaire de professionnalité. “Ce niveau national (de National 1 [3e division] à National 3 [5e division], ndlr) est vraiment hybride, il ne peut pas relever de l’amateurisme en tant que tel. Il y a une vraie cadence en termes de performance, avec des entraînements quotidiens, des déplacements compétitifs importants ».
En France, une formule permet la rémunération financière des footballeurs non-professionnels. C’est ce qu’on appelle les contrats fédéraux. « C’est un peu l’artifice créé par la fédération pour pouvoir signifier une professionnalité sans donner le vrai statut de footballeur professionnel, ce qui est paradoxal », explique Pierre-Cédric Tia. En s’élevant dans le footballariat, vers la N1, ce genre de contrat est courant, proche du professionnalisme en termes de conditions sociales et salariales. En revanche, en descendant vers la N3, il y a une réelle hybridité de conditions, sans contrats fédéraux et en bricolant plusieurs solutions de mensualité. « Ça peut aller d’un « footballarié » qui combine des petits contrats à la mairie, des primes de matchs et des indemnités kilométriques, à un autre qui ne bénéficie que des primes de matchs. Plus on descend dans la hiérarchie nationale, plus les conditions sociales au sein même d’un effectif sont hétérogènes et précaires ».
Accepter la précarité pour jouer ?
Il est donc rare de se stabiliser durablement en évoluant dans ces divisions avec un seul même contrat de travail. C’est cette instabilité qui a poussé Nassim Badri à prendre sa retraite sportive à seulement 29 ans. Joueur du FC Nantes pendant 19 ans, depuis l’école de foot, l’ancien gardien de but a choisi de « passer à sa deuxième vie ».
Pourtant, Nassim Badri a bien connu l’élite du football français. En 2014, il signe son contrat professionnel au FC Nantes et évolue au mieux en tant que troisième gardien de l’effectif. Désireux de retrouver une place de titulaire, il file à l’été 2022 en National 3 à Fontenay-Le-Comte, où le club vendéen lui offre un contrat fédéral. « J’avais pour objectif soit de m’inscrire dans la durée au club, soit de pouvoir rebondir ensuite avec un club de N1, voire de Ligue 2. La saison s’est bien passée mais le club allait connaître une baisse de budget assez importante. J’ai donc décidé de quitter Fontenay et je me suis mis à rechercher un nouveau club ».
Mais les exigences de Nassim sont élevées et les recherches sont infructueuses. “À mon âge et en voyant que les perspectives pour retrouver le monde pro étaient compliquées, j’ai préféré décliner toutes les offres reçues. Je n’envisageais pas poursuivre ma carrière sans contrat fédéral, dans une situation assez précaire ». En effet, ce n’est pas chose aisée d’obtenir un contrat fédéral et le salaire qui va avec. Cela correspond à une fourchette d’indemnités mensuelles entre 3000 et 3500 euros net, très peu de clubs de N3 ont les moyens de proposer ces contrats. Ce sont souvent un ou deux joueurs de l’effectif qui en bénéficient, les autres travaillent la journée et viennent s’entraîner le soir.
À l’image de Fontenay-Le-Comte, le contexte actuel d’inflation n’aide pas les clubs à prospérer. La gestion d’une entité sportive représente un coût grandissant en termes d’entretien, d’équipements, d’infrastructures… et c’est parfois l’effectif qui en pâtit. Conditions salariales précaires, voire suppression de certains postes pour survivre, les joueurs font face à la mutabilité qui règne sur le football amateur.
Le phénomène de persévérance vocationnelle
Faire confiance en ses capacités à retrouver le monde pro ou préparer sa reconversion professionnelle : Nassim a finalement su répondre à ce dilemme par la deuxième option. Ce n’est pourtant pas chose commune, et certains joueurs font preuve de persévérance vocationnelle « C’est le mythe du « pro tardif ». Il existe quelques rares cas de joueurs issus du footballariat qui ont l’opportunité d’accéder à l’élite. Cela alimente la persévérance des anciens apprentis footballeurs, qui basent leurs convictions sur cette possibilité. Ça leur permet de toujours y croire, et ça peut durer des années », développe Pierre-Cédric Tia.
Mais l’originalité de ces parcours est à souligner. « La majorité des joueurs font tout de même une carrière dans le footballariat. Ces joueurs qui perçoivent cet espace intermédiaire de professionnalité comme un espace transitoire, ont finalement tendance à se stabiliser dans ce secteur au gré des années et des saisons qui s’écoulent ».
De cette façon, il est possible de faire carrière dans le footballariat, malgré l’obligation de faire face à un statut social particulier et une condition salariale souvent précaire. Mais il s’agit d’une situation instable qui retranche les sportifs dans une vulnérabilité certaine en tant qu’athlètes.