Précarité et tabagisme : lien de causalité ?
Les métiers modestes sont plus enclins à consommer du tabac. C’est ce qu’avance la nouvelle étude d’Alliance contre le tabac (ACT) parue lundi 9 janvier. A Nantes, consommateurs et spécialistes s’expriment.
207 euros. C’est ce qu’un fumeur déverse en moyenne pour ses cigarettes chaque mois. Soit 2 484 euros par an. Pour l’Alliance contre le tabac, ce sont avant tout les personnes défavorisées qui en font les frais. “Plus le revenu est faible, plus la prévalence du tabagisme quotidien est élevée”, estime le collectif d'associations.
Le monde de la nuit touché
Certains corps de métiers sont plus impactés par ce fléau. C’est le cas de la restauration. “C’est un métier très stressant avec des services intenses et des grandes amplitudes horaires. Et en plus c’est un milieu festif”, explique Benoist Alhinc, gérant d’une pizzéria à Bouguenais. S’il a été fumeur pendant 25 ans, Benoist a arrêté depuis quatre mois. Sa consommation avait augmenté lorsqu’il a commencé à travailler en restauration, à l’âge de 18 ans. Pour lui, arrêter, c’est un gain de temps et donc de productivité. En contrepartie, Benoist travaille beaucoup plus et ne prend plus réellement de pauses. Il se rappelle: "Pour quelqu’un qui est déjà fumeur et addict, en fin de service ou pendant les pauses, c’est arrivé qu’on fume deux cigarettes d’affilée parce qu’on savait qu’on ne pouvait pas fumer pendant le service.” Les métiers du CHR (Commerce, Hôtellerie, Restauration) comptent davantage de fumeurs en raison de la provenance sociologique des travailleurs. “On a toujours plus de fumeurs chez les personnes moins diplômées”, détaille-t-il. C’est 32 % parmi les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat contre 17,1 % parmi les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat selon l’ACT.
“Ils récupèrent les mégots pour se faire des cigarettes avec le tabac restant”
Pour Quentin, étudiant et consommateur, c’est le même constat. “C’était le pic en restauration, où j’avais le plus gros volume horaire. Je fumais dès que je pouvais et des fois je triplais ma consommation.” Inflation ou pas, l’addiction au tabac est puissante et s’inscrit dans le quotidien de façon routinière. Les pauses associées à la cigarette, le stress, la sensation de détente sont des moteurs plus ou moins conscients qui poussent à fumer. L’étude montre que chez les personnes vivant sous le seuil de pauvreté, le tabagisme peut représenter jusqu’à 30% des dépenses d’un ménage. Elle précise que certains renoncent même aux produits de première nécessité pour pouvoir acheter des cigarettes. Un phénomène d’addiction et de cercle vicieux qu’explique Virginie Dessains, accueillante d’un des Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) de Nantes et formée en tabacologie. “Quand on tire sur une cigarette, l'absorption de la nicotine, de la gorge, ça passe aux poumons et ça monte au cerveau. C’est 7 secondes, donc encore plus rapide qu’une substance qu’on prendrait en injection. On parle de shoots nicotiniques. Quand on a une montée très rapide de la substance, la descente est rapide elle aussi, ce qui incite à consommer.” Le tabac est une substance psychotrope qui contient de la nicotine, par définition un excitant. Le paradoxe, c’est que la plupart des fumeurs consomment dans l’optique de rechercher une certaine forme de détente, pour combler un stress ou pour gérer leurs émotions.
Le tabac, premier facteur de décès évitable
Le public que reçoit le CSAPA est plutôt modeste dans la mesure où leur corps d’activité est la toxicomanie et les profils polyconsommateurs. “Dans le milieu précaire, on fume beaucoup, on récupère des mégots et on se refait des cigarettes avec le tabac récupéré. C’est une pratique assez courante. Ils font ça pour des raisons financières, le tabac coûte cher. Pour autant, j’ai déjà reçu des médecins et personnes plus aisées”. Pour l’Alliance contre le tabac, cette tendance peut s’expliquer par les difficultés de la vie rencontrées, le fait d’avoir des parents fumeurs. En ce qui concerne les catégories socio-professionnelles, en plus du milieu de la nuit, on peut aussi trouver des fumeurs dans le bâtiment et chez les routiers. Le tabagisme devient alors un marqueur social important. C’est souvent valable pour l’alcool, qui lui aussi est plus propice dans certains secteurs d’activité que d’autres. Cependant, Virginie Dessains rappelle que “le tabac est le premier facteur de décès évitable, avant l’alcool.”
Le collectif d’associations à l’origine de l’étude, l’Alliance contre le tabac (ACT) a lancé sa campagne de sensibilisation “Pouvoir de vivre” dans le but de favoriser la réduction du tabagisme chez les personnes les plus modestes à travers des mesures adaptées.