Mon crime : était presque parfait
Après son sulfureux Peter von Kant, où s’ébauchait histoire d’amour compliquée entre deux hommes dans le cinéma allemand des années 70, François Ozon reste dans l’univers du grand écran avec Mon crime, son dernier cru. Une partition bien menée sur le cinéma des années 30, aux accents de comédie policière que n’aurait pas reniés Sacha Guitry.
1935. La France des années folles bat son plein, dans son décor Art déco. Les dames portent des voilettes devant leur visage, et les messieurs nous gratifient de leurs meilleurs accroche-cœur. Le dernier François Ozon nous plonge dans cet univers du Paris découvrant le cinéma parlant, avec ses frasques, ses mondanités, ses volutes, non sans rappeler, toutes proportions gardées, l’exubérance du récent Babylon de Damien Chazelle.
À l’origine, une comédie policière
Imaginez la scène. Madeleine Verdier, jeune actrice à l’abri du succès, habite une chambre de bonne avec son amie Pauline Mauléon, jeune avocate elle aussi sans le sou. Elles coulent des jours paisibles, quoique chiches, entre deux loyers impayés. Jusqu’au jour où la justice frappe à leur porte : le célèbre Montferrand, producteur en vogue de la scène parisienne, est retrouvé tué d’une balle dans la tête dans sa villa de Neuilly. Madeleine avait rendez-vous avec lui les heures précédant son décès, et s’était sortie de ses griffes in extremis après qu’il a tenté de l’abuser sexuellement, faisant de la comédienne la coupable idéale à inculper pour ce crime qu’elle n’a pas commis. Du côté des deux jeunes filles, ce meurtre apparaît paradoxalement comme la route toute tracée vers la gloire. Tout roulerait pour notre duo faussement coupable, à moins que la véritable assassine ne vînt les stopper net dans leur ascension.
Un résultat virevoltant...
En termes de nombre de grilles de décryptage selon les personnages, Mon crime, film lui-même adapté d’une pièce éponyme, écrite par Georges Berr et Louis Verneuil en 1934, se place quasiment au niveau d’un vaudeville à la Feydeau. Les personnages se succèdent, avec chaque fois un intérêt différent assorti d’un niveau de lecture différent ; les décors sont virevoltants, bigarrés ; le jeu des protagonistes est rendu très visuel, voire en relief, y compris chez les seconds rôles qui ne sauraient se retrouver dans l’ombre des deux comédiennes principales, bien qu’elles soient très douées elles-mêmes.
Isabelle Huppert, entre autres, nous présente une Odette Chaumette, actrice du muet sur le retour, des plus fantasques et drolatiques, un registre dans lequel on la voit sans doute trop peu, tant son potentiel clownesque est ici mis en exergue. Dany Boon est jouissif de naïveté dans le bon sens du terme, avec un accent d’architecte marseillais irrésistiblement à couper au couteau. Quant à Fabrice Luchini, ce rôle de juge Rabusset rocailleux, partial et borné lui correspond parfaitement, dans ce qu’il a à donner au public de plus « luchinien », lyrique, de mauvaise foi.
De gauche à droite : Dany Boon et Fabrice Luchini. Crédit image : Carole Bethuel
... à un point près
Seule ombre dans ce tableau baroque, qui n’en est même pas une tant sa présence est essentielle à la bonne appréhension du film : le jeu. Le fait est que tout le monde joue dans cette pièce en un acte d’une heure et demie. Dès la toute première image, le rideau qui ceint artificiellement les bornes de l’écran nous informe sur le caractère éminemment factice de tout ce à quoi nous nous apprêtons à assister.
Tout ne sera alors qu’effet de manches, suspense, intrigue sur le fil et hyperbolisation des sentiments. L’amoureux André, venant rejoindre Madeleine sur les toits d’un Paris fantasmé, ne se marie avec une autre que par goujaterie toutefois sincère, et demeure spectateur unique de la situation, à ceci près qu’il restera le seul à ne pas savoir la vérité, pour la bonne sauvegarde de son propre couple avec Madeleine. Pareillement, la justice que Rabusset incarne, et qui accuse nos deux « complices » de meurtre semble se ficher éperdument de la vérité de l’affaire, et n’agir que dans le but d’asseoir sa réputation et monter en grade à la suite du bruissement médiatique et des retombées du jugement. Sans compter Odette Chaumette qui, non contente de dévoiler aux fausses meurtières la véritable identité de la coupable, ne dévoile cette vérité que pour prétendre au même destin fulgurant après un acquittement en bonne et due forme.
Même Madeleine et Pauline ne font rien pour rattraper la vertu déclinante de leurs confrères de jeu, en cela qu’elles assurent leur défense conjointe pour justement gagner ces portes tant convoitées qu’on appellent la célébrité. Les arguments féministes qu’elles avancent pour persuader l’assistance de leur culpabilité excusable car sous couvert de légitime défense - en résonnance d’ailleurs bienvenue avec notre époque - sont écrasés quelque peu sous le poids d’une soif encore plus grande de reconnaissance par les publics respectifs des planches et des parquets. Et si finalement, tout le sel du film n’était causé que par cette absence totale de limites à la morale ? Après tout, dans le vaudeville, les portes claquent, les répliques fusent à vitesse grand V, les personnages surjouent, extravaguent et la psychologie n’apparaît nulle part, remplacée par une tactique d’intrigant.